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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

Expériences de l’anticapitalisme. 4. Questions de principes

  • Noël Barbe, conseiller pour l'ethnologie au ministère de la Culture ( IIAC )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

  • Jean-Louis Tornatore, professeur à l'Université de Bourgogne (TH) ( Hors EHESS )

S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

2e et 4e vendredis du mois de 9 h à 11 h (salle AS1_23, 54 bd Raspail 75006 Paris), du 11 janvier 2019 au 14 juin 2019. La séance du 11 janvier est annulée. La séance du 8 février se déroulera de 14 h à 16 h (salle 11, 105 bd Raspail 75006 Paris). La séance du 8 mars se déroulera en salle AS1_08, de 9 h à 11 h. La séance du 12 avril se déroulera de 9 h à 12 h (salle 4, 105 bd Raspail 75006 Paris)

Au-delà de la diversité des expériences  qui portent des projets de débordement, de soustraction ou d’alternative au capitalisme – et des points de problématisation déjà explorés –, on s’interrogera cette année sur les principes qui les organisent et les fondent en actes et en réflexivité comme anticapitalistes : leurs configurations (expérimenter, se soustraire, affronter, trouer, s’approprier, imaginer), leurs échelles (micropolitique, cosmopolitique, propositionnelle), les politiques du collectif et de l’individuel à l’œuvre (anonymat, autonomie, modes de décision, commun, égalité), les formes de temporalité et de narrativité, les définitions de l’ennemi (extractivisme, financiarisation, expansion, naturalisme). De quoi l’anticapitalisme serait-il lui-même le principe ? Quel serait alors son effectivité ?

Vendredi 25 janvier : Alèssi dell'Umbria, « Communisme indigène contre capitalisme vert »

Dans l'Isthme de Tehuantepec (État de Oaxaca, sud du Mexique), les communautés zapotèques et ikoots mènent depuis une dizaine d'années une lutte obstinée contre les méga-projets éoliens. "La terre ne se vend pas, on l'aime et on la défend" disent-ils : la terre comme territoire et la Terre comme mère universelle de tous les peuples forment ainsi une unité cohérente. En face, des multinationales de la finance et des énergies dites renouvelables, soutenues par l'État avec sa police et ses groupes paramilitaires...

Alèssi dell'Umbria est l'auteur de Istmeño, le vent de la révolte. Chronique d'une lutte indigène contre l'industrie éolienne, film documentaire (Tita production, 2015) et livre (Éditions CMDE et Éditions du bout de la ville, 2018. Il a également publié Tarantella! Possession et dépossession dans l'ex-Royaume de Naples (L’œil d'or, 2016) et Échos du Mexique indien et rebelle (Rue des cascades, 2010).

Vendredi 8 février 2019 (de 14 h à 16 h, salle 11, 105 bd Raspail 75006 Paris) : Serge Quadruppani, « De la lutte contre les Grands Projets aux Zad des ronds-points »

Après que le mouvement des gilets jaunes a vu éclore une puissance qui a ébranlé le gouvernement sans s’appuyer sur les lieux de production, et aussi développé sur ses ronds points occupés une socialité relativement émancipée des impératifs économiques – au point qu’on a pu parler d’une « zadification de la France » –, traiter des luttes de territoire et d’une manière générale, du lien entre le lieu et la lutte, peut contribuer à ouvrir des pistes nouvelles.

« Contre l’Aéroport et son monde », proclamaient les banderoles des zadistes de Notre Dame des Landes, et ce n’est pas un hasard si l’on retrouva semblable formulation dans les « cortèges de tête » du printemps 2016 : « Contre la loi « Travaille ! » et son monde ». Car c’est toute une série de pratiques, de comportements, tout un esprit commun déjà développés à Notre Dame des Landes, à Sivens, à Bure, dans la Vallée de Susa, et ailleurs dans le monde qu’on a retrouvés dans les fractions incontrôlées des manifestations contre la loi El Khomry.

Il s’agira ici de préciser contre quel monde s’insurge une nouvelle radicalité, et de cerner, à partir des expériences citées, et d’autres sur la planète, les traits les plus marquants d’une nouvelle subjectivité collective, ou pour le dire autrement, le visage d’un nouveau sujet révolutionnaire : hétérogène, multiforme, d’une grande richesse culturelle et réflexive, parcouru de forces contradictoires, et unifié par son ennemi même.

Les Grands Projets représentent une nécessité pour un monde qui prétend être le seul possible, et reposer en tous ses aspects, sur la raison : la raison de l’économiste, celle du financier, de l’ingénieur, de l’aménageur, du manager. La critique de ces raisons est au cœur des « luttes de territoire ». Contre cette irrationnelle rationalité qui ramène tout à la mesure de l’argent, et réduit donc toutes les qualités à des quantités, il s’agit d’une recherche essentielle en ces temps de catastrophe écologique, celle de la juste mesure dans chaque réalité, (dans la production de tels ou tels objets aussi bien que dans les échelles de la vie en commun). Cette recherche n’est pas compatible avec l’idée d’une unité de mesure universelle comme l’argent (ou le droit). Dans l’intense activité déployée par les zadistes pour faire exister leur forme de vie, il n’y a pas de place pour un équivalent général qui en ferait un travail exploitable par un capital.

Les territoires de ces luttes sont le terrain de développement de savoirs et d’imaginaires qui rendent possible une autre société. Le lien possible entre ces luttes et les résistances à la « révolution managériale » que Macron incarne à son stade ultime, c’est la critique du rapport d’exploitation : exploitation de l’homme (et singulièrement de la femme) par l’homme, et exploitation de la nature procèdent d’un même rapport faussé et mortifère au monde et aux autres.

Serge Quadruppani a publié en 2017, à La Découverte, Le Monde des Grands Projets et ses ennemis – voyage au cœur des nouvelles pratiques révolutionnaires.

Vendredi 22 février, de 9 h à 11 h (salle AS1_23) : Noël Barbe,  « Les Renards pâles. Ou de la possibilité de l’insurrection et de la révolution et de leurs possibles effets"

« Pourquoi as-tu tant besoin de textes sérieux, de textes légitimes ? Pourquoi penses-tu qu’un essai, un livre de philosophie, seront toujours plus sérieux, et au fond plus important, qu’un bouquin de Duras, de la poésie - même expérimentale -, la lecture de Guerre et Paix ? » écrit Nathalie Quintane dans Pourquoi l’extrême gauche ne lit pas de littérature ? Sartre a partiellement théorisé l’engagement de l’intellectuel dans un texte sur la littérature. Fredric Jameson appelle à la prise en compte de l’élan utopique renfermé dans les textes tout comme il met l’accent sur l’importance de la restructuration d’une pensée du présent par la science-fiction en tant qu’elle est une défamiliarisation radicale. Trois occurrences, parmi d’autres, de la question – et de sa possible importance – des relations entre littérature et anticapitalisme, entre littérature et révolution ont pu écrire certains.

Cette question sera ici travaillée à propos d’un ouvrage particulier Les renards pâles de Yannick Haenel qu’il s’agira ici de déplier à partir du point où l’auteur installe son roman c’est à dire à la rencontre entre la poésie et la pensée, la littérature et la philosophie, de prendre l’écriture comme une expérience de pensée et comme l’installation expérientielle d’une suspension « du cours du temps moderne de la domination » (Brossat).

Ce roman, revendiqué comme politique et manifeste par son auteur, se veut ranimer ce qui est désigné par les mots de révolution et d’insurrection. Il inscrit cette dernière dans la temporalité d’une déprise du monde, révélatrice du vide d’une situation. Cette sortie de toute domination par le pouvoir et hors de son langage, rend disponible à un à-venir, une ressaisie du politique et un passage du je à l’action collective. Par là elle possède une dimension « insurrective » empruntant au sacré ou au thème de l’immémorial de Georges Bataille, aux thèses de James Frazer sur la souveraineté, ou encore à la cosmogonie dogon vue par Marcel Griaule. Révolution et insurrection relèvent de la prévalence de l’événement et d’une forme quasi-liturgique sans présupposition des mondes dont elles accoucheront

Cette pensée à l’œuvre dans le roman met en tension et rediscute certains des enjeux théoriques et pratiques de l’extrême-gauche ou des expériences anticapitalistes. Somme toute elle interroge les armes de la critique et la critique des armes. Alors l’extrême-gauche doit-elle lire de la littérature ?

Noël Barbe est anthropologue, chercheur à l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (Cnrs-Ehess). Ses travaux portent les formes de présence du passé et leur politisation, le politique de l’art, l’épistémologie politique des savoirs ethnographiques, les expériences de l’anticapitalisme. Engagé dans des dispositifs culturels, sa pratique est attentive aux effets de pouvoir qui y sont à l’œuvre, comme aux prises qu’ils peuvent permettre pour une micropolitique émancipatrice et critique, ne serait-elle que temporaire.

Dernier texte paru : « La triple mort ou la condition mineure. Essai sur un Requiem pour quatre mineurs », Sociétés & représentations, 47, 2019.

Vendredi 8 mars 2019 (salle AS1_08). "Présence de la zad de Notre-Dame-des-Landes"

L’année 2018 a été une période charnière pour la zad de Notre-Dame-des-Landes. D’une folle victoire contre l’État et le capitalisme avec l’abandon du projet d’aéroport en début d’année, aux violentes expulsions par l’armée et ses blindés au printemps, la zad a changé. Elle doit maintenant sauver ses projets et ses terres contre l’agro-industrie et pour cela se lance dans une nouvelle aventure, en parallèle au rapport de force portant sur des « négociations » avec les autorités : tenter de racheter les terres, les bâtis et les forêts de la zad par le biais du fonds de dotation "La Terre en Commun". La séance sera animée par des membres du fonds de dotation La Terre en Commun.

Vendredi 12 avril (de 9 h à 12 h, salle 4, 105 bd Raspail 75006 Paris) Labo-fiction par les Ateliers de l'Antémonde
 
Un atelier d'imagination dans l'univers du livre Bâtir aussi pour vivre un moment collectif d'expérimentation. Nous proposons d’embarquer le public dans l’univers uchronique de l’Haraka, mouvement social qui démarre avec les printemps arabes en 2011 et s’étend à d’autres révoltes ailleurs sur la planète. Un moment pour prolonger ensemble cette utopie ambiguë et réfléchir comment, des dynamos aux rites funéraires, des lave-linge aux assemblées, nous pourrions construire des mondes sans dominations.

Les ateliers de l’Antémonde sont constitués de personnes engagées dans des luttes anticapitalistes et féministes. Des ateliers de fabrication d’imaginaires enthousiastes et critiques du complexe techno-industriel. Les auteurEs, passionnéEs par la bidouille, recherchent des outils pour subvertir l’état des choses, développer des perspectives révolutionnaires et anti-autoritaires. Iels expérimentent la science-fiction à plusieurs mains pour s’extirper d’un présent verrouillé en puisant dans leurs pratiques de luttes et de vie collective. Ensemble, iels tentent de tirer les fils du présent afin de tendre une toile de futurs possibles, voire souhaitables. Iels ont publié en 2018, Bâtir aussi. Fragments d'un monde révolutionné, aux éditions Kambourakis (https://antemonde.org/recueils/batir-aussi/).

Vendredi 10 mai ((salle AS1_23, 54 bd Raspail) : Alessandro Pignocchi, "La zad de Notre-Dame-des-Landes par delà Nature et Culture"

ll n'y a pas d'issue à la crise environnementale sans viser un rapport au monde où nos relations avec les plantes, les animaux et le territoire deviennent, par défaut, des relations de sujet à sujet. Celles-ci se substitueraient aux relations sujet-objet (d'exploitation et de protection) qui organisent pour l'instant le rapport de l'Occident moderne aux non-humains. Cette révolution cosmologique implique, dans le même mouvement, de se débarrasser de la sphère économique autonome qui surplombe les faits sociaux. C'est sur la zad de Notre-Dame-des-Landes que l'on prend ce chemin de la façon la plus convaincante.

Ancien chercheur en sciences cognitives et philosophie, Alessandro Pignocchi s’est lancé dans la bande dessinée avec son blog, Puntish. Son premier roman graphique, Anent-Nouvelles des Indiens Jivaros, raconte ses découvertes et ses déconvenues dans la jungle amazonienne, sur les traces de l’anthropologue Philippe Descola. Dans les deux suivants, Petit traité d’écologie sauvage et La Cosmologie du futur, il décrit un monde où l’animisme des Indiens d’Amazonie est devenu la pensée dominante, et où un anthropologue jivaro tente de sauver ce qui reste de la culture occidentale. Sa nouvelle bande dessinée, La recomposition des mondes, raconte son immersion dans la zad de Notre-dame-des-Landes et la révolution de notre rapport au monde que ce territoire préfigure. Dans une vie antérieure, il a publié, chez Odile Jacob, L’Œuvre d’art et ses intentions (2012) et Pourquoi aime-t-on un film ? Quand les sciences cognitives discutent des goûts et des couleurs (2015).

Adresse(s) électronique(s) de contact : noel.barbe(at)cnrs.fr, Jean-Louis.Tornatore(at)u-bourgogne.fr

Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 2 mai 2019.

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