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Mercredi de 14 h à 17 h (54 bd Raspail 75006 Paris), du 17 octobre 2018 au 30 janvier 2019. Cf. salles ci-dessous
Turquie, 1934-1950. Tous les 26 septembre les Maisons du Peuple sont à la fête. On y célèbre la « révolution de la langue », c’est-à-dire l’abandon des caractères arabes (1928) et la purge du vocabulaire officiel. Au programme : discours du sous-préfet ou du chef du parti, conférences de l’instituteur, récitations de poésie, dépôt de gerbe à la statue d’Ataturk, hymne national, fanfare, foot, volley, thé et cigarettes, parfois un bal populaire.
Plus de 200 procès-verbaux aujourd’hui conservés à Ankara documentent ces solennités telles qu’elles se déclinent d’une année sur l’autre, dans les grandes villes comme dans les plus modestes bourgades du pays. On y trouve même les copies des discours prononcés chaque année, d’Edirne à Hakkari, de Zonguldak à Antalya. C’est en soi une rareté archivistique : les historiens de la fête politique en France, par exemple, ont souvent déploré l’impossibilité de connaître verbatim le contenu de la prédication républicaine.
Ce matériau dactylographié n’a jamais été exploité. Nous l’avons intégralement photographié, recopié et digitalisé au format texte. Il autorise à présent la mise en oeuvre d’une enquête expérimentale, à la fois qualitative et quantitative (une utilisation du logiciel Prospéro est prévue), qui réunira des chercheurs issus de l’équipe ANR Transfaire ; tout personne intéressée et ayant quelque connaissance du turc est invitée à nous rejoindre en vue d’une publication collective.
17 octobre 2018 (salle AS1_23) : Introduction générale : enjeux et perspectives d’une enquête collective (M. Aymes et E. Szurek)
24 octobre 2018 (salle BS1_05) : Le nationalisme linguistique turc en action (E. Szurek)
7 novembre 2018 (salle BS1_05) : Le traitement automatique du langage (TAL) appliqué au turc : lectures d’un néophyte motivé (M. Aymes)
21 novembre 2018 (salle BS1_05) : Les fêtes de la langue comme événement littéraire (Zeynep Bengisu Ertuğrul et M. Aymes)
5 décembre 2018 (bureau B03_18) : Langue et génocide (E.Szurek)
19 décembre 2018 (bureau B03_18) : Usages de la radiophonie (Lydia Assouad, Orcan Sakalli et E. Szurek)
16 janvier 2019 (bureau B03_18) : Séance étudiante.
30 janvier 2019 (salle BS1_05) : Conférence de Serhan Ada (Université Bilgi d'Istanbul, professeur invité de l’EHESS), « La politique culturelle en Turquie de la République à nos jours ».
Mots-clés : Action publique, Administration, Analyse de discours, Anthropologie et linguistique, Archives, Argumentation, Citoyenneté, Écriture, Éducation, Émotions, État et politiques publiques, Ethnicité, Génocides (études des), Globalisation, Histoire, Histoire culturelle, Histoire des idées, Histoire des sciences et des techniques, Histoire intellectuelle, Humanités numériques, Informatique et sciences sociales, Intellectuels, Islam, Langues, Linguistique, Littérature orale, Minorités, Nationalisme, Oralité, Orientalisme, Philologie, Poétique, Politique, Politiques publiques, Post-coloniales (études), Pragmatisme, Pratiques, Psychanalyse, Racismes et races, Révolutions, Savoirs, Sociohistoire, Symbolique,
Aires culturelles : Arabe (monde), Asie, Asie centrale, Contemporain (anthropologie du, monde), Europe, Europe centrale et orientale, Europe sud-orientale, Méditerranéens (mondes), Musulmans (mondes), Transméditerranée, Transnational/transfrontières, Turc (domaine),
Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Histoire - Histoire et civilisations de l'Europe
Intitulés généraux :
Adresse(s) électronique(s) de contact : emmanuel.szurek(at)gmail.com
Animé pour la seconde année consécutive, ce séminaire de recherche est centré sur un unique fonds d’archives : celui des « Fêtes de la langue », célébrées tous les 26 septembre à travers toute la Turquie des années 1930 et 1940. Au programme, pour mémoire : discours du sous-préfet, conférences de l’instituteur, récitations de poésie, dépôt de gerbe à la statue d’Atatürk, hymne national, fanfare, foot, volley, thé et cigarettes, parfois un bal populaire. À travers les quelque 200 procès-verbaux qui documentent les Fêtes de la langue ces célébrations jalonnent un processus de transformation radicale de la langue écrite en Turquie (changement d’alphabet, purge du vocabulaire, refonte de la grammaire) tout en livrant, comme en modèle réduit, la scène rituelle autoritaire que le gouvernement turc administrait à ses populations.
Notre objectif est de saisir l’histoire de la Turquie par la langue : c’est-à-dire approcher la façon dont les élites politiques turques ont pris en charge la question du traitement de la pluralité et comment, après les mouvements démographiques et génocidaires du premier quart du siècle, la langue a permis la poursuite de politiques de réduction de la différence par d’autres moyens. Étudier le nationalisme linguistique turc en action, en prenant au sérieux les notions polysémiques de performance et de performativité, c’est donc observer la brutalisation dont les non-conformes ont été les victimes, qu’il s’agisse des minorités linguistiques comme les Kurdes, des non-musulmans ou des classes populaires et paysannes.
Après avoir resitué le corpus des Fêtes de la langue dans le canon littéraire et doctrinal de la « révolution linguistique », une réflexion a ainsi été menée sur la langue de la persécution, celle de l’unionisme au pouvoir. Mais il importait aussi de se demander ce que l’expérience génocidaire fait en retour à la langue du persécuteur, c’est-à-dire soulever la question d’une transférabilité possible, tant sur le plan sociologique (personnels) que technique (arts politiques) et idéologique (régimes de justification), des compétences développées en matière d’ingénierie ethnique vers l’ingénierie linguistique.
Nos repérages ont également permis de souligner l’importance des instruments (alphabet, papeterie, machine à écrire, reprographie, radiophonie, haut-parleur, télégraphie) dans l’orchestration des fêtes, et la façon dont ces outils contribuent en retour à la formalisation du néo-turc. L’exemple de la radio (avec Lydia Assouad et Orcan Sakallı) est éloquent : non seulement parce que celle-ci est intensément mobilisée à des fins de synchronisation – à dix-huit heures, tous les 26 septembre, les Maisons du Peuple sont censées se régler sur la fréquence d’Ankara – mais parce qu’elle constitue à la fois le vecteur et le symbole d’une prise de parole étroitement associée au charisme de la « modernité ».
Enfin, on s’est attelé à éclairer la dimension transnationale des sciences du langage telles qu’elles servent le projet réformateur des élites turques ainsi que la circulation des nationalismes linguistiques, aux confins de la turcologie et de l’orientalisme (avec Bengisu Zeynep Ertuğrul). En résumé, par la fabrique socialement située de la langue, on peut saisir les ressorts culturels et politiques du pays dans la longue durée, comme l’a encore démontré la dernière séance, organisée en concertation avec Serhan Ada (professeur invité à l’EHESS).
Un enjeu à plus long terme est de produire une édition numérique XML-TEI du corpus, d’ores et déjà digitalisé au format texte, et de l’enrichir par l’usage de l’outil d’analyse de données textuelles Prospéro. Dans cet esprit, le séminaire s’est attaché à réfléchir aux conditions d’applicabilité du traitement automatique du langage (TAL) à la langue turque.
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 19 novembre 2018.