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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

Droit et émotions

  • Liora Israël, directrice d'études de l'EHESS (en cours de nomination) ( CMH )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

Jeudi de 11 h à 13 h (salle 7, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 7 mars 2019 au 13 juin 2019. La séance du 11 avril est annulée

Quoi de plus distant, a priori, que le droit d'une part et les émotions de l'autre ? D'un côté la rationalité froide des textes, de l'autre la peine ou la joie, ce qui affecte et ce qui touche. Pourtant, penser l'un sans les autres serait ignorer ce que sont les objets privilégiés du droit, consistant précisément dans ce à quoi les gens tiennent - personnes, biens, valeurs. En outre, la manière dont se déploie le droit se traduit le plus souvent par des émotions : dans le secret du cabinet de l'avocat-e, à l'audience, dans l'attente d'un procès, à la lecture d'une décision de justice, dans la délibération d'un jury. Il s'agira dans ce séminaire de chercher à comprendre ce que peuvent apporter les développement récents de la prise en compte des émotions en sciences sociales à l'analyse empirique du droit en société.

Ce séminaire est accessible sur la plateforme d'enseignement de l'Environnement numérique de travail de l'EHESS :

Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Sociologie

Intitulés généraux :

  • Liora Israël- Sociologie du droit et de la justice. Pour une approche empirique des phénomènes juridiques
  • Renseignements :

    contact par courriel.

    Direction de travaux d'étudiants :

    sur rendez-vous uniquement. 

    Niveau requis :

    le séminaire est ouvert aussi bien aux étudiantes et étudiants en sciences sociales intéressé-e-s par les phénomènes juridiques qu'aux juristes désireuses et désireux de s'ouvrir à une démarche de sciences sociales. 

    Adresse(s) électronique(s) de contact : liora.israel(at)ehess.fr

    Compte rendu

    Ce séminaire s’inscrit dans le mouvement qui a pu être qualifié de tournant émotionnel (emotional turn) en sciences humaines et sociales. Ce « tournant » renvoie à la volonté de réintégrer dans ces disciplines la question des émotions, comme ne relevant pas seulement de la psychologie ou, surtout, des sciences cognitives en plein essor. Le renouveau de l’intérêt pour les émotions en science sociales s’est bien sûr appuyé sur un long héritage, qu’il s’agisse du texte de Mauss (1921) sur « L’expression obligatoire des sentiments » relatif aux rites funéraires en Australie, ou encore sur la tradition eliasienne. Mais, au-delà de cette remise au jour d’une thématique classique, le renouvellement des approches a également été rendu possible par l’émergence de nouvelles perspectives de sciences sociales, notamment autour de la question du genre et du care (Hochschild, Paperman).

    S’agissant du droit, dans ce domaine également la nécessité de la prise en compte des émotions s’est progressivement imposée depuis quelques années, pour rendre compte de phénomènes empiriques non thématisés dans les approches juridiques classiques. Ce renouvellement, d’abord perceptible dans les humanités et en particulier en philosophie (Nussbaum, Minow), s’est rapidement étendu aux approches plus empiriques du droit et de la justice. L’observation d’audiences, pour donner un exemple concret, rend ainsi immédiatement perceptible l’importance des émotions, de la part des professionnels comme des profanes, ou encore telles qu’elles se transmettent au public, voir par l’intermédiaire de différents relais comme la presse ou les media à une audience élargie.

    Sans se limiter à la présentation du courant aujourd’hui identifié dans le monde académique anglophone sous l’appellation « law and emotions », le séminaire a tenté de mettre en évidence plusieurs facettes de l’articulation entre droit et émotions, en soulignant en particulier les questionnements méthodologiques soulevés par cette perspective.

    Après une présentation des approches classiques des émotions dans les sciences sociales (en sociologie, anthropologie, et histoire), nous nous sommes intéressé.es au texte manifeste de 2001 de Kathryn Abrams et Hila Keren « Who’s afraid of law and emotions ? ». Sans endosser la dimension normative de cet article en appelant à une approche émotionnelle du droit par les juristes, cette entrée en matière a permis de prendre en considération l’étendue des domaines du droit potentiellement concernés (du droit des contrats à celui de la famille, en passant par le plus attendu droit pénal). Mauricio Garciá Villegas, professeur de droit et de sciences politiques à l’Université de Bogota invité à l’EHESS, a ensuite ouvert dans les troisièmes et quatrièmes séances des discussions avec les approches cognitives et culturelles des émotions (en référence au contexte latino-américain en particulier).

    Revenant à des analyses plus immédiatement empiriques des émotions, la question des professionnels du droit et du « contrôle des émotions » qui leur incombe a été abordée lors d’une cinquième séance, Nicolas Dodier abordant plus précisément lors de la séance suivante le rôle des émotions à l’audience, à partir de l’enquête menée avec Janine Barbot sur le procès dit de l’hormone de croissance.

    Cette séance a permis d’aborder la question des mobilisations (en l’occurrence liées à un procès), approfondie ensuite en portant attention à l’intégration de la question des émotions dans l’analyse de l’action collective, notamment chez James Jasper avec la notion de « choc émotionnel ». La lecture de travaux de Christophe Traïni, relatifs aux mouvements de défense de la cause animale, a permis de souligner le rôle des émotions dans la constitution de cette forme de militantisme, trouvant à s’articuler au droit dans des formes de professionnalisation de cet engagement, qu’il s’agisse d’avocats spécialisés ou de juristes travaillant dans des associations de défense des animaux.

    Les deux interventions de Marianne Constable, professeure de rhétorique à l’Université de Berkeley invitée à l’EHESS, centrées sur la dimension de persuasion rhétorique portée par le droit (discutée par B. Fraenkel), puis sur ses recherches en cours sur le phénomène des femmes « tueuses de maris » (et souvent acquittées) à Chicago dans l’entre-deux-guerres, ont insisté sur la force de conviction du droit et sur l’importance de ses silences ou de ses sous-entendus. Enfin, les travaux de Jack Katz sur les « séductions du crime » (Seductions of crime, 1988) ont conduit à aborder le versant plus sulfureux des émotions ressenties par les criminels lors de la commission de leurs actes – tel que le sociologue a pu les reconstituer à l’aide d’archives policières et judiciaires, ouvrant à la question des sources de telles analyses. Le séminaire s’est achevé par une séance de présentation des travaux d’étudiant·e·s.

    Publications

    • « Recht und kollektive Aktion. Versäumnis oder latente Thematisierung im Werk Bourdieus ? », dans Das Rechtsdenken Pierre Bourdieu, sous la dir. de Andrea Kretschmann, Weilerswist, Velbrück, 2019, p. 240-254.
    • « Joue-t-on devant la justice ? Retour sur un article célèbre de Marc Galanter », Dossier « Jeu et Droit », Délibérée, 6(1), 2019, p. 23-27.

    Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 10 avril 2019.

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