Logo EHESS

baobab
Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

Espaces sexués : transformations urbaines

  • Klaus Hamberger, maître de conférences de l'EHESS ( LAS )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

Jeudi de 13 h à 15 h (salle 4, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 7 mars 2019 au 27 juin 2019. La séance du 14 mars est annulée. La séance du 27 juin se déroulera de 13 h à 17 h

Ce séminaire s’inscrit dans un programme de recherche consacré à la topologie sexuelle de l’espace social. À travers l’analyse comparative des morphologies et dynamiques spatiales des sociétés dans différentes régions du monde, notre objectif n’est pas seulement de préciser le rôle de la différence des sexes dans l’organisation de l’espace mais de parvenir à une conception proprement topologique du genre.

Tandis que les séminaires des années précédentes se sont concentrés sur l’étude d’espaces domestiques et rituels dans des environnements ruraux (notamment ouest-africains), nous nous pencherons cette année sur les transformations que les schémas élémentaires de la sexuation de l’espace – telle la polarisation entre intérieur (féminin) et extérieur (masculin) – connaissent dans un contexte urbain. La topologie de l’espace urbain se distingue par l’extension progressive des espaces d’échange et de transit (marchés, rues) et par un éclatement concomitant de l’espace domestique, impliquant aussi bien le détachement des zones extérieures (destinées par exemple à la production alimentaire, l’échange cérémoniel ou le rassemblement rituel) que l’externalisation des zones intérieures (destinées par exemple à l’éducation des enfants, la cuisine ou les soins aux malades). L’impact de ces transformations sur les polarités sexuées de l’espace est divers : elles tendent tantôt à se renforcer (avec une délimitation plus étanche de la sphère domestique et une masculinisation accrue de l’espace public), tantôt à se métamorphoser (avec la transformation des clivages sexués en rapports de classe ou d’origine), tantôt à se diversifier (avec l’émergence d’une polarité entre femmes domestiques et femmes publiques, ou entre sociabilité masculine et commerce féminin), tantôt à s’inverser (avec l’émergence d’espaces extra-domestiques mettant des femmes à l’interface d’accueil ou des hommes au centre caché). Plutôt que de bouleverser fondamentalement les dynamiques de genre sous-jacentes aux morphologies rurales, l’espace urbain permet au contraire de les étudier dans toute leur variabilité et leur complexité.

S’appuyant en premier lieu sur une analyse comparative de sources publiées (avec un intérêt particulier pour les villes occidentales et africaines à partir de la seconde moitié du xxe siècle), le séminaire proposera aussi un volet pratique d’ethnographie spatiale.

Ce séminaire est accessible sur la plateforme d'enseignement de l'Environnement numérique de travail de l'EHESS :

Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Anthropologie sociale, ethnographie et ethnologie

Intitulés généraux :

  • Klaus Hamberger- Anthropologie de l’espace social
  • Direction de travaux d'étudiants :

    sur rendez-vous

    Réception :

    sur rendez-vous

    Adresse(s) électronique(s) de contact : klaus.hamberger(at)ehess.fr

    Compte rendu

    Après avoir étudié pendant plusieurs années la morphologie sexuée des espaces ouest-africains « ruraux », le séminaire de 2018-2019 s’est consacré aux transformations que cette morphologie subit dans le contexte urbain. Sans négliger la tradition des villes ouest-africaines encore étroitement imbriquées dans l’économie agricole, nous nous sommes concentrés sur les villes « modernes », (occidentales ou d’origine coloniale), centrées sur l’industrie ou les services, et dont le lien à la terre est médiatisé par l’argent. À cette perte de la base agricole et à l’extension concomitante des espaces d’échange et de circulation correspond un éclatement de l’économie domestique, une externalisation progressive des tâches préalablement accomplies à l’intérieur de la maison, mais aussi, réciproquement, une internalisation des tâches résiduelles, approfondissant la ségrégation entre extérieur et intérieur au point d’en faire une dichotomie entre « public » et « privé ». Dans la perspective du séminaire, qui conçoit les espaces non seulement comme structures sexuées mais avant tout comme structures sexuantes, ces reconfigurations transforment profondément les conditions de la production du genre.

    Ces transformations sont d’autant plus complexes que la morphologie sexuée de la ville n’obéit pas à un simple gradient menant d’un centre public masculin à une périphérie privée féminine. Le modèle classique de la ville industrielle dressé par Burgess (1925) divise l’espace urbain grosso modo en trois régions : le centre (lieu de l’échange, de la communication, de l’administration), le péricentre (lieu de la production) et la périphérie (lieu de la reproduction). À cette division fonctionnelle correspond une polarisation résidentielle selon la classe et le genre : le centre abrite les classes supérieures et leurs domestiques (surtout des jeunes migrantes célibataires), le péricentre les classes populaires (familles et migrants solitaires dont les conjoints restent en zone rurale, et dont le genre varie en fonction du type d’industrie), la périphérie enfin les classes moyennes (familles dont les hommes font la navette vers le centre alors que les épouses s’occupent des tâches domestiques). La polarité entre un extérieur central masculin et un intérieur périphérique féminin ne se présente donc que pour les classes moyennes ainsi que (à une échelle supérieure) pour les travailleurs migrants ruraux dont les épouses demeurent paysannes. Cette bipolarisation s’accompagne toutefois d’un poids croissant des femmes non-mariées dans l’espace extérieur et central de la ville. L’espace urbain ne polarise donc pas tant entre espaces féminins et masculins, qu’entre un espace intérieur, réservé aux relations domestiques et conjugales, et un espace extérieur, consacré aux relations professionnelles et extraconjugales – deux espaces dont les frontières sont plus poreuses pour les hommes (qui oscillent entre les deux mondes), plus étanches pour les femmes (qui n’appartiennent généralement qu’à l’un de ces mondes à un moment donné de leur vie).

    Cette différence entre centre et périphérie quant à la polarisation des genres est restée largement intacte lorsque la désindustrialisation des villes occidentales a fait disparaître les quartiers ouvriers péricentraux et drainé les femmes des classes moyennes de la périphérie vers le centre. Le processus de gentrification, qui conduit hommes et femmes des classes moyennes à s’installer au centre et relègue les classes populaires vers les périphéries (de plus en plus ségréguées entre zones résidentielles et industrielles), amène aussi bien à une dépolarisation des genres dans les classes moyennes, renforcée par l’externalisation croissante des tâches domestiques et maternelles, qu’à leur polarisation renforcée dans les classes populaires, bien que mitigée par l’impact croissant du chômage masculin.

    Ces processus de polarisation et de dépolarisation des genres, inégaux selon les classes sociales, ne sont pas le résultat d’un changement dans la division sexuée des tâches, qui reste remarquablement stable, mais d’une reconfiguration spatiale de ces tâches, qui conduit d’une part à une externalisation des tâches féminines, concentrées au centre, d’autre part à une extériorisation poussée des tâches masculines, reléguées à la périphérie (de la ville ou de l’économie globale). En même temps, les tâches techniquement les plus indifférenciées (administration, information, communication, commerce/finance) restent structurées par une polarisation verticale de classe et de genre, matérialisée dans l’architecture des bâtiments centraux (entre les cadres professionnels dans les étages supérieurs et les emplois de bureau subalternes à la base).

    Le séminaire a surtout étudié la morphologie urbaine et l’architecture des espaces domestiques et extradomestiques, tout en commençant à aborder la micro-topologie des interactions sexuées (et sexuelles) dans l’espace urbain. En effet, si la polarité entre centre et périphérie consiste moins entre les genres qu’entre deux modes de relation entre les genres (dont les relations sexuelles extraconjugales et conjugales fournissent un modèle condensé), la reconfiguration des classes sociales au sein de ces espaces se manifeste, elle aussi, de façon exemplaire dans le domaine de la sexualité : l’abandon du modèle de la famille hétérosexuelle d’une part, la lutte contre la prostitution et le harcèlement de rue d’autre part, accompagnent le retour des classes moyennes de la périphérie vers le centre, dont le séminaire de l’année prochaine tentera de déceler les manifestations spatiales.

    S’appuyant en premier lieu sur une analyse comparative de sources publiées, le séminaire a renforcé ses volets pratiques en intégrant systématiquement des exercices auto-ethnographiques (notamment graphiques) ainsi que deux balades ethnographiques dans les espaces publics et semi-publics de Paris. Ces expérimentations seront approfondies l’année prochaine en coopération avec le groupe de travail en ethnographie spatiale.

     

    Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 5 juin 2019.

    Contact : service des enseignements ✉ sg12@ehess.fr ☎ 01 49 54 23 17 ou 01 49 54 23 28
    Réalisation : Direction des Systèmes d'Information
    [Accès réservé]