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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

Art et appropriation : extension du domaine des « appropriations culturelles »

  • Brigitte Derlon, directrice d'études de l'EHESS ( LAS )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

Jeudi de 11 h à 13 h (salle 2, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 8 novembre 2018 au 23 mai 2019. Pas de séance le 4 avril

Au cours des dernières années, les médias et les réseaux sociaux se sont fait l’écho d’un nombre toujours croissant d’accusations d’« appropriation culturelle » dans le domaine artistique dont beaucoup s’écartent du schéma auquel elles obéissaient jusque-là. Ces accusations reposent toujours sur l’idée qu’il faut protéger les styles artistiques, l’artisanat, les traditions orales, ou encore les codes vestimentaires de certaines populations en les considérant comme leurs « biens culturels » et en interdisant à des personnes extérieures de s’en inspirer. Mais ces accusations ne sont plus portées exclusivement par des membres de peuples autochtones ou des personnes s’identifiant comme des descendants de populations anciennement colonisées à l’encontre d’artistes tenus pour des représentants de l’Occident colonial ou néocolonial. Désormais, le fait d’être Cherokee ou Afro-américain ne préserve pas de ces accusations qui viennent parfois de l’intérieur même des communautés, les populations en diaspora peuvent être aussi bien la cible que le fer de lance de ces accusations, et il arrive que des pays au passé impérialiste soient assimilés à des communautés spoliées. On s’intéressera de manière approfondie à certains de ces cas qui, s’ils participent de la fragmentation actuelle des revendications identitaires, sont surtout révélateurs de l’efficacité de la notion d’« appropriation culturelle » pour rendre compte des sentiments de discrimination et de spoliation hors du seul cadre qui lui a donné naissance.

Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire annuel (48 h = 2 x 6 ECTS)

Mentions & spécialités :

Domaine de l'affiche : Anthropologie sociale, ethnographie et ethnologie

Intitulés généraux :

  • Brigitte Derlon- Anthropologie de l’art : réception et appropriation des œuvres
  • Renseignements :

    par courriel.

    Direction de travaux d'étudiants :

    sur rendez-vous au Laboratoire d'anthropologie sociale, 3 rue d'Ulm, 75005 Paris

    Réception :

    sur rendez-vous par courriel.

    Adresse(s) électronique(s) de contact : derlon(at)ehess.fr

    Compte rendu

    Au cours des dernières décennies, l’usage de la notion d’« appropriation culturelle » a connu plusieurs évolutions dont la plus récente semble remettre en cause les bases mêmes sur lesquelles elle reposait jusque-là. Née dans le sillage des mobilisations des peuples autochtones et de la pensée postcoloniale, cette notion fut forgée pour caractériser les pratiques des Occidentaux accusés de puiser librement dans les ressources matérielles et immatérielles des peuples autochtones ou des populations anciennement colonisées. Mais elle apparaît de plus en plus souvent dans des controverses d’un nouveau genre, où les auteurs présumés des appropriations ne sont guère assimilables a priori à des représentants de l’hégémonie occidentale et où les victimes supposées collent mal, parfois, à l’image de membres d’une communauté opprimée ou dépossédée.

    Ainsi, en 2017, à l’occasion de la rétrospective de son œuvre sur le sol américain, l’artiste Jimmie Durham, qui vit en Europe depuis une trentaine d’années, fut accusé de « fraude ethnique » par des membres de la Nation Cherokee malgré son passé incontesté d’activiste politique de la première heure (années 1970) au service de la reconnaissance des droits des Amérindiens. En 2015, et contre toute attente, les Afro-Américains sont passés du statut de victimes habituelles à celui de responsables d’« appropriations culturelles » sous la plume d’une Britannique d’origine nigériane qui leur a demandé de cesser de copier les vêtements et signes tribaux du continent africain. En 2015 encore, des Américains asiatiques, dont des Chinois et des Coréens, ont protesté contre le musée des Beaux-Arts à Boston qui proposait aux visiteurs d’une exposition sur le japonisme de revêtir une réplique du kimono de La Japonaise de Claude Monet.

    L’évènement relevait pourtant d’une initiative du Japon et bénéficiait du soutien de nombre d’Américains d’origine japonaise.
    Comme dans les controverses habituelles, la volonté de dénoncer des discriminations anime ceux qui portent ces accusations. Celles-ci sont révélatrices des formes d’incompréhension et de rivalités survenues à l’intérieur même des communautés (tribales, raciales, pan-ethniques) suite à l’éloignement géographique de certains de leurs membres (pour cause de traite transatlantique, d’exil contraint ou volontaire) et à l’absence de liens suffisamment actifs avec le groupe d’origine. Un clivage interne s’opère entre, d’une part, ceux qui s’estiment victimes de préjudices et se font les gardiens des traditions et de l’identité culturelle collective ; et d’autre part, ceux que les mêmes situent du côté des dominants, voire qu’ils identifient à la figure de l’Occidental ou du Blanc, en raison de leur réussite socio-économique et de leur rapport parfois décomplexé à leur culture.

    Révélatrice des troubles de l’identité collective dans le monde contemporain, cette extension récente du champ des « appropriations culturelles » doit beaucoup à la redoutable efficacité d’une notion qui s’avère capable, en quelques jours, d’enflammer les réseaux sociaux dans le monde et de produire des effets concrets (excuses publiques, adoption de nouveaux codes éthiques, destruction consentie d’œuvres d’art…). Mais en ne s’inscrivant plus sur la toile de fond des rapports de domination issus du colonialisme, en visant des Amérindiens ou des Afro-Américains, ces accusations d’un nouveau genre risquent de faire des émules et de devenir une arme aux mains de ceux-là mêmes contre lesquels elle fut forgée. À moins que la notion, vidée de son sens initial, cesse d’être opérante et que les champs du politique et de l’économique (re)deviennent les lieux privilégiés de la lutte contre les discriminations.

    Publication

    • Avec Monique Jeudy-Ballini, « Quand l’art contemporain propose et que l’anthropologie dispose… L’appropriation à l’œuvre », dans Les mises en scène du divers. Rencontre des écritures ethnographiques et artistiques, sous la dir. de Francine Saillant, Nicole Lapierre, Bernard Müller et François Laplantine, Cahier ReMix 9, Montréal, Figura, Centre de recherche sur le texte et l’imaginaire, 2018. En ligne sur le site de l’Observatoire de l’imaginaire contemporain. http://oic.uqam.ca/fr/remix/quand-lart-contemporain-propose-et-que-lanthropologie-dispose-lappropriation-a-loeuvre

    Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 11 mars 2019.

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