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Jeudi de 11 h à 13 h (salle 7, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 8 novembre 2018 au 7 février 2019
Deux généalogies coexistent dans l'histoire des sciences sociales états-uniennes, sans être jamais connectées l’une avec l’autre : d’une part, une sociologie de la déviance, renouvelée dans les années 1960, pour une bonne part par des chercheurs formés à Chicago (Howard Becker, Erving Goffman, Fred Davis, Joseph Gusfield…) et par des étudiants d’Edwin Lemert et Harold Garfinkel à UCLA ; de l'autre, des études socio-juridiques, qui renouvellent à partir du milieu des années 1960 le projet du réalisme juridique (legal realism) et développent le projet progressiste qualifié de Law and Society.
Il s'agira dans ce séminaire de montrer que ces deux récits sont en fait plus proches qu'ils n'en ont l'air, et d'inviter ainsi à ré-encastrer ces histoires l’une en l’autre, au regard des archives et des textes. C'est ainsi une réappréciation des thématiques croisées du droit, de la pénalité et de la déviance et de leur importance dans la compréhension de la sociologie (américaine) qui sera proposée.
Ce séminaire est accessible sur la plateforme d'enseignement de l'Environnement numérique de travail de l'EHESS :
Mots-clés : Action publique, Droit, normes et société, Mobilisation(s), Mouvements sociaux, Sociologie,
Aires culturelles : Amérique du Nord,
Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Sociologie
Intitulés généraux :
Direction de travaux d'étudiants :
sur rendez-vous uniquement.
Réception :
sur rendez-vous uniquement.
Niveau requis :
une connaissance au moins passive de l'anglais est requise.
Adresse(s) électronique(s) de contact : liora.israel(at)ehess.fr, daniel.cefai(at)ehess.fr
Ce séminaire a été élaboré à partir d’un constat : deux généalogies coexistent dans l’histoire des sciences sociales aux États-Unis, sans être jamais vraiment connectées l’une avec l’autre. D’un côté, on trouve une sociologie de la déviance, totalement renouvelée dans les années 1960, qui remet en cause les modèles jusque-là en vigueur de pathologie, désorganisation ou dysfonctionnement social ; de l’autre, les études socio-juridiques, qui renouvellent à partir du milieu des années 1960 le projet du réalisme juridique (legal realism) et développent le projet progressiste au sein de la Law and Society Association.
Dans ce séminaire, nous avons cherché à passer par-delà la frontière entre disciplines et à montrer que ces deux récits étaient plus proches qu’ils n’en avaient l’air, qu’il s’agisse de prendre en compte les réseaux d’interconnaissance entre chercheurs, la circulation des thématiques ou des réflexions méthodologiques, la congruence des lieux de publication et des centres de recherche. L’un des premiers indices de l’importance de ce croisement a consisté dans la mise en évidence, à travers les archives de l’Université de Berkeley, de l’importance de Sheldon Messinger, mais aussi de David Matza, Aaron Cicourel ou Erving Goffman pendant les premières années du Center for the Study of Law and Society (CSLS), fondé en 1961. Mais, déjà, l’expérience de l’enquête « The American Jury », au milieu des années 1950, à la Law School de Chicago, avait joué un rôle central dans les premiers pas de l’ethnométhodologie de Garfinkel, comme est venu le rappeler Stéphane Baciocchi dans une séance consacrée à cette enquête. Autre exemple de convergence : entre 1961 et 1965, Howard Becker, était l’éditeur de la Revue Social Problems, qui accueillit dans ses pages en 1965 le numéro zéro de la Law and Society Review, avant qu’elle ne prenne son indépendance.
Ces croisements, comme nous l’avons reconstitué, ont été dans une grande mesure impulsés par des fondations et des organismes de recherche (Ford, Russell Sage, Social Science Research Council etc.) qui, à partir des années 1950, ont identifié le droit, et en particulier le lien entre droit et politique publique, sociologie ou économie, comme un domaine d’études crucial. Ces fondations ont financé de nouveaux programmes dans les écoles (les law schools) d’universités prestigieuses, comme Yale et Harvard, et inauguré des centres de recherche à partir du début des années 1960 (à Denver, Northwestern, Berkeley et Madison), pour développer une meilleure connaissance de la place du droit dans les mécanismes économiques et sociaux. L’enjeu en était d’élaborer des politiques publiques plus efficaces, de mieux évaluer le fonctionnement de l’institution judiciaire, mais aussi de former des avocats davantage conscients de leur rôle social et avec l’avènement du mouvement des droits civiques et des nouveaux mouvements sociaux, d’accompagner ces dynamiques de mobilisation et de revendications de droits.
Ces nouveaux programmes, aussi stimulants que richement dotés, comme l’ont souligné Howard Becker et Malcolm Feeley dans leurs interventions dans ce séminaire, ont eu un fort pouvoir d’attraction sur de jeunes chercheurs en recherche de financements. Mais, au-delà de cet effet conjoncturel, la naissance de ces centres tout comme l’incitation à des formations combinées en droit et en sciences sociales a contribué à soutenir un puissant renouvellement des recherches, par exemple autour de la catégorie de « déviance » dans ses différentes dimensions, (réaction sociétale, contrôle social, carrière déviante, croisade morale…). On peut, par exemple, mentionner les travaux de Joseph Gusfield, d’Aaron Cicourel ou de Robert M. Emerson, qui ont tous trois eu des liens avec le CSLS, et ont avec Messinger et quelques autres, contribué au renouveau de la sociologie des activités de police ou de la vie en prison ou développé une ethnographie des procès qui avait été engagée par le Jury Project de Chicago.
L’approche empirique, pour une bonne part ethnographique, héritée de la génération d’après-guerre à Chicago et développée par les étudiants d’Everett C. Hughes et Herbert Blumer, reprise par les étudiants de Goffman et Matza à Berkeley, de Garfinkel et Lemert à UCLA, de Becker et Kitsuse à Northwestern, de Hughes et Bittner à Brandeis – pour ne citer que quelques centres de cette petite révolution – a également eu de fortes conséquences sur le développement de la sociologie du droit et de la justice. Comme l’a rappelé Malcolm Feeley, professeur invité de l’EHESS en novembre 2018, à propos de son livre célèbre The Process is the Punishment (1979), l’ethnographie des tribunaux jugeant de la petite délinquance a révolutionné l’analyse de la pénalité. Sur un autre plan, les travaux menés par Jack Katz sur les avocats des pauvres et sur l’expérience des centres d’aide juridique, dont celui de Jerome Carlin à San Francisco, ont contribué non seulement à une meilleure compréhension socio-historique du modèle de l’aide judiciaire nord-américaine, mais ont également préfiguré les travaux ultérieurs sur l’engagement des avocats.
À travers ce séminaire, ont été parcourus et reliés à grand traits des domaines trop souvent présentés séparément : la sociologie de la déviance, la sociologie du droit et de la justice, la sociologie des « institutions de contrôle social », comme la prison ou encore celle des professions juridiques et des mobilisations dont l’enjeu est la défense ou la conquête de droits (folie, handicap, homosexualité…). C’est ainsi une réappréciation des thématiques croisées du droit, de la pénalité et de la déviance et de leur importance dans la compréhension de la sociologie américaine qui a été proposée, ouvrant des chantiers qui restent encore largement à défricher.
Publications
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 20 novembre 2018.