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1er et 3e mercredis du mois de 11 h à 13 h (salle A04_47, 54 bd Raspail 75006 Paris), du 7 novembre 2018 au 15 mai 2019. La séance du 3 avril est reportée au 10 avril. La séance du 10 avril aura lieu de 10 h à 12 h. Voir détail des salles dans le descriptif
Si les grandes crises économiques engendrent toujours des crises politiques, il est difficile d’établir des liens entre elles. Comment expliquer que la même crise financière de 2008 ait abouti à l’essor de Donald Trump aux États-Unis et de Podemos en Espagne ? Du Parti Pirate en Islande et de Victor Orban en Hongrie ? Il n’y a aucune traduction mécanique d’un registre à l’autre, mais au contraire des séries de transformations historiquement construites, dans lesquelles le blocage des formes de reproduction sociale joue un rôle essentiel. Le déclassement conduit certes à la radicalisation des idées politiques, mais le sens que prennent ces idées, leur contenu concret, dépend en grande partie d’autres facteurs qui peuvent occuper le devant de la scène : la racialisation des rapports sociaux, la réactivation de relations coloniales ou encore la place des femmes dans des structures familiales éclatées invitent à une interprétation intersectionnelle des crises. Dans cette approche, la place de la subjectivité individuelle, confrontée par exemple au surendettement, impose la remise en cause d'une approche uniquement macroéconomique.
Le séminaire s’intéressera aux logiques sociologiques récentes, mais reviendra aussi sur l’histoire de certaines grandes crises : la crise de 1929, qui a nourri la montée du fascisme en Europe ; la Bulle des Mers du Sud de 1720, enracinée dans l’histoire coloniale ; la crise des Tulipes de 1637, pendant laquelle le prix d’une fleur dépasse dix années de salaire d’un artisan ; la pratique d’abolition des dettes en Mésopotamie antique. La réflexion s’appuiera sur des transformations qui ne sont pas toujours perçues comme des crises, par exemple sur le processus d’accumulation primitive, issu des contradictions du mode de production féodal. Une attention particulière sera portée aux formes de production et de circulation des marchandises – coton, pétrole, produits financiers... – qui permet de renouveler la réflexion d’une façon empirique, au-delà frontières convenues entre économie et politique. L'importance des images, des films et des productions culturelles précisera cette représentation de la crise irréductible à de purs rapports économiques.
En confrontant différentes théories des crises, on réfléchira aux difficultés conceptuelles d’une conceptualisation à partir des schémas libéraux classiques et néoclassiques, pour lesquelles les crises sont des anomalies dans des systèmes caractérisés par l’équilibre. À l’inverse, les théoriciens des crises de surproduction, marxistes en particuliers, font de la crise un problème structurel, révélateur de contradictions profondes, où ce sont les phases d’équilibre apparent qui sont exceptionnelles. Entre l’étymologie latine de la crise comme « apparition brutale d’une maladie », et l’étymologie grecque du « jugement », de la « prise de décision », la sociologie des crises a toujours oscillé entre des pôles inconciliables.
Ce séminaire est accessible sur la plateforme d'enseignement de l'Environnement numérique de travail de l'EHESS :
Suivi et validation pour le master : Bi/mensuel annuel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Sociologie
Intitulés généraux :
Adresse(s) électronique(s) de contact : quentinravelli(at)hotmail.com
Ce séminaire de lecture et de recherche de 2018-2019 s’est efforcé d’éclairer les liens entre les crises économiques et les crises politiques en partant des grands modèles théoriques avant d’aborder de nombreux exemples historiques ou sociologiques – de la Bulle des mers du Sud aux Gilets jaunes en passant par la crise de 1929. Les séances se sont déroulées dans un contexte social et politique bouillonnant, leur donnant une coloration particulière.
Des théories aux organisations : le fil rouge du séminaire
Dans la théorie économique orthodoxe, celle de Friedman et Hayek notamment, les turbulences sociales et politiques s’expliquent par des interventions étrangères aux pures lois du marché, comme celles de l’État, des syndicats ou des monopoles. Pour les théories qu’on dit souvent « hétérodoxes » – en particulier marxistes – c’est au contraire la structure économique elle-même qui génère des crises, et donc des ruptures politiques importantes. Celles-ci sont le plus souvent déclenchées par des mouvements sociaux qui peuvent être nourris par des forces économiques – comme c’est le cas pour l’appauvrissement des paysans avant 1789 – mais il arrive, à l’inverse, qu’ils éclatent pendant des phases d’expansion – comme c’est le cas en 1968. Les liens entre les deux phénomènes, quoique manifestes, restent donc en partie énigmatique, et le séminaire s’est orienté vers des pistes organisationnelles – rôles de partis, des syndicats et de nouvelles formes d’organisation – qui n’étaient pas prévues au départ, en particulier avec l’intervention de Sophie Béroud, spécialiste des syndicats, au début du second semestre.
Quelques pistes : interdisciplinarité, marchandises et économie des crises
L’intérêt de ce séminaire était de proposer des pistes issues de différentes disciplines. Des étudiants en histoire, sociologie, anthropologie, économie et philosophie y ont assisté : cette diversité a rendu les échanges particulièrement vivants. Par ailleurs, les travaux écrits pour valider le séminaire en deux temps – un problème théorique problématisé, puis une proposition d’analyse empirique – ont permis de confronter aux théories des cas d’étude concrets. L’essor du thème du Brexit, les racines économiques de la montée du nationalisme aux États-Unis, les aspects émotionnels de la crise équatorienne, l’importance renouvelée des caisses de grève ou encore la critique des fausses évidences de la crise comme lieu commun, ont fait partie des thèmes que les étudiants ont choisi de traiter, le plus souvent selon des approches originales. De façon récurrente, la question de la comparabilité des crises s’est imposée dans le séminaire : entre le phénomène récurrent, modélisable par l’économie, et le surgissement historique singulier, explicable uniquement a posteriori et posant de fortes limites au comparatisme, les débats ont été riches. Enfin, nous avons porté une attention particulière à des approches moins connues, comme celle de la sociologie de marchandises particulières dans les déclenchements de crises – tulipes, pétrole, médicaments, crédits… – ce qui nous a conduits à traiter des formes de représentation culturelles de l’économie, par exemple à partir d’analyses des styles de la peinture américaine des années 1930.
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 29 mars 2019.