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Jeudi de 16 h 30 à 19 h 30 (Campus Jourdan, salle R1-09, 48 bd Jourdan 75014 Paris), les 7, 21 février et 28 février, 14 et 28 mars, 4 et 18 avril et 9 mai 2019
Le séminaire de l’année 2018-2019 se donne pour objectif d’examiner la question de la société salariale. Comment la définir ? Est-ce une notion à usage exclusivement contemporain, ou peut-on la mobiliser pour des sociétés et des économies du passé ? Doit-on la voir comme une construction progressive à travers les siècles ou comme une forme économique qui apparaît seulement dans les sociétés industrielles développées ?
À l’aide d’exemples situés dans des temps et des lieux très variés, la diversité des situations étudiées – depuis l’Antiquité jusqu’au monde contemporain, au travers de multiples aires culturelles – devant fournir autant de terrains d’enquête, il s’agit de définir quels sont les critères attendus pour définir ce qu’est une société salariale. Ces critères concernent non seulement le rapport salarial mais aussi tout ce qui l’entoure et le rend possible de façon durable, comme par exemple les formes très variées de qualification de la main d’œuvre ou d’assurance sociale. Le salaire, dans ses manifestations historiques multiples, sera également un objet d’attention. Comment définir le salaire pour le différencier du simple paiement pour une tâche accomplie ? Comment intervient la notion de subordination, d’un point de vue pratique et juridique, dans la transformation d’une rémunération en salaire ?
Enfin, on envisagera également la phase de déconstruction de la société salariale depuis les années 1990. On s’interrogera sur la réalité du phénomène et sur la forme que prend désormais la rémunération et le rapport de domination au sein de la relation de travail dans l’entreprise.
Suivi et validation pour le master : Hebdomadaire semestriel (24 h = 6 ECTS)
Domaine de l'affiche : Histoire - Histoire et civilisations de l'Europe
Intitulés généraux :
Adresse(s) électronique(s) de contact : jerome.bourdieu(at)ens.fr
Le séminaire s’est donné pour objectif de définir ce que sont le salaire, à la différence des autres formes de rémunération, et la société salariale. Est-ce une notion à usage exclusivement contemporain, ou peut-on la mobiliser pour des économies du passé ? Doit-on la voir comme une construction progressive à travers les siècles ou comme une forme économique qui apparaît seulement dans les sociétés industrielles développées ?
Une première approche a privilégié les pratiques du quotidien afin de comprendre comment s’établissaient les rémunérations ainsi que les autres éléments contextuels comme le temps de travail ou les aides indirectes. La question a été étudiée à propos de divers dossiers : sous quelle forme était payé un tisserand de drap florentin vers 1450 et comment son « salaire » était-il fixé, d’après les registres de comptes ; le système de paiements dans une forge du centre de la France vers 1455, grâce au récit d’un procès ; la création d’une caisse de secours et d’entraide des fourreurs de vair à Paris en 1319, forme ancienne de salaire indirect et d’assurance-maladie au sein d’un métier connu pour sa dangerosité, d’après le compte rendu d’un garde de la prévôté de Paris ; une bagarre entre un teinturier de Murano et un de ses « salariés » (lavorans) le 5 octobre 1340 à propos du travail dominical, d’après un interrogatoire du podestat.
La question salariale a également été abordée en s’interrogeant sur les limites mises à son champ d’application. C’est ce que permet l’analyse de l’histoire de l’emploi salarié agricole. D’abord étudié pour le rôle qu’il aurait tenu dans le modèle du « European marriage pattern » (John Hajnal, Peter Laslett) puis comme source privilégiée pour suivre l’évolution des revenus dans le long terme (Jane Humphries, Weisdorf), il peut aussi être considéré d’un autre point de vue. Parce que les domestiques agricoles devaient être à tout moment disponibles et ne pouvaient quitter leur emploi en cours d’année, les contrats particulièrement contraignants qui réglaient leur embauche et leurs conditions de travail ont été, en Angleterre, le cadre général du travail salarié jusque tard dans le siècle (Robert Steinfeld) et plus durablement encore dans l’Empire britannique. En France, ces mêmes contrats ont été à l’origine de la délimitation d’un domaine où le Code du travail ne devait pas pénétrer.
La définition du salaire inclut, outre la notion de contrat de travail, le principe de la subordination du salarié à son employeur. La question des origines et de la mise en place de ce principe est importante dans l’optique du séminaire. La subordination trouve ses origines dans le droit naturel et dans la doctrine utilitariste qui s’imposent au cours du XVIIIe siècle et conduisent à la notion de dépendance comme caractéristique des relations de domination dans le travail. Elles s’opposent à des formes de résistance ouvrière qui veulent imposer la distinction entre la vente d’un travail précis identifié par une tâche et la vente d’un service identifiée par une durée.
Un dernier point étudié pour cerner la notion de salariat a été le lien entre dette et travail. Dans quelle mesure la relation de dette conduit-elle à la notion de dépendance et de mise au travail au service du créancier ? L’idée d’avances salariales est centrale dans beaucoup de systèmes de rémunération et de discipline au travail. Cette question a été considérée aussi bien dans sa dimension temporelle, avec l’étude de cas d’ouvriers emprisonnés pour dettes à Paris au Moyen Âge, que spatiale, avec des cas empruntés à l’Indonésie coloniale et à l’Inde britannique dans laquelle « there was an intimate link between debt and obligations to work » (Douglas Hay et Paul Craven, Masters, Servants and Magistrates in Britain and the Empire, 1562-1955). Ces cas de figure ont introduit à une réflexion historique sur la différence entre les formes de mise en gage (en particulier en Asie et en Afrique) et la subordination contrôlée propre au lien salarial
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 21 décembre 2018.