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Base de données des enseignements et séminaires de l'EHESS

La mine une affaire d’État ?

  • Christine Demmer, chargée de recherche au CNRS ( CNE )

    Cet enseignant est référent pour cette UE

  • Boris Deschanel, maître de conférences à l'Université d'Avignon et des pays de Vaucluse ( CNE )
  • Marion Fontaine, maître de conférences à l'Université d'Avignon et des pays de Vaucluse ( CNE )
  • Pierre-Yves Le Meur, directeur de recherche à l'IRD ( CNE )

S'il s'agit de l'enseignement principal d'un enseignant, le nom de celui-ci est indiqué en gras.

Mardi de 14 h à 17 h (EHESS-Marseille, Centre de la Vieille-Charité, 2 rue de la Charité 13002 Marseille), les 9 octobre, 6 novembre, 11 décembre 2018, 8 janvier et 5 février 2019 plus une journée d'étude qui sera fixée ultérieurement

La mine, c’est-à-dire le vaste champ des exploitations minières et des phénomènes sociaux, économiques, politiques, culturels qui leur sont associés, constitue un objet scientifique large qui suscite ces dernières années un intérêt renouvelé de la part des sciences sociales. Mais, si différentes disciplines s’attachent à la mine, elles l’ont fait jusqu’à présent chacune de leur côté, avec des points de vue et des terrains assez différents. Cette fragmentation des études minières a l’inconvénient de laisser persister des points aveugles et d’empêcher le renouvellement de toute une série de questionnements.

L’enjeu de ce séminaire, associant historiens et anthropologues, sera donc de mettre en œuvre un dialogue interdisciplinaire, mettant en perspective les périodes, les terrains et les cas, afin de proposer une approche politique des phénomènes miniers. Il s’agira en particulier, à travers le cas des mines, de s’interroger, à différentes échelles, sur les frontières qui séparent – ou parfois confondent – l’entreprise et l’institution publique et, plus largement, de se saisir du cas minier, dans toutes ses ambiguïtés, comme une manière de questionner la frontière public / privé à différentes époques et en divers lieux.

Trois grandes pistes d’investigation seront suivies à cet effet. On explorera la mine sous l’angle de la maîtrise des ressources et, de façon plus globale, comme élément disputé de la souveraineté politique des États (ici on s’intéressera aux nationalismes miniers, aux transnationales et aux mouvements autochtones). On se penchera simultanément sur la mine comme acteur politique local, comme entreprise ou institution inscrite dans un territoire localisé, susceptible d’agir et de peser, parfois de manière considérable, sur la vie sociale et politique de ce territoire (du paternalisme à la responsabilité sociale d’entreprise) au point d’en transformer parfois les rapports sociaux. La mine est vue ici comme lieu de souveraineté. La troisième piste consistera à analyser l’aspect inverse, et pourtant complémentaire, c’est-à-dire la mine comme enclave, comme lieu dérogatoire et exceptionnel, comme lieu de déconnexion relative du local (et de reconnexion à d’autres échelons), en s’attachant moins à l’aspect économique que social et politique de la question.

De manière transversale, il s’agira encore de se demander comment les relations de travail et le traitement d’une main d’œuvre – souvent étrangère – sur mine peut s’avérer paradigmatique ou non de la structuration à la fois des mondes ouvriers et des sociétés qui abritent ces entreprises, dans le cadre d’une tension entre relations sociales de production et de compensation.

Aires culturelles : Afrique, Amérique du Sud, Europe, Océanie,

Intitulés généraux :

Centre : CNE - Centre Norbert-Elias

Site web : http://centre-norbert-elias.ehess.fr/

Adresse(s) électronique(s) de contact : christine.demmer(at)univ-amu.fr, boris.deschanel(at)univ-avignon.fr, marion.fontaine(at)univ-avignon.fr, pierre-yves.lemeur(at)ird.fr

Compte rendu

La mine constitue un objet scientifique qui suscite ces dernières années un intérêt renouvelé de la part des sciences sociales. Ce séminaire, qui avait vocation explicite à engager un dialogue interdisciplinaire, a été un moment d’échanges très fructueux entre historiens et anthropologues. Au centre de nos préoccupations communes : les frontières qui séparent – ou parfois confondent – l’entreprise minière et l’institution publique en divers lieux et époques.

La séance du 9 octobre, menée à quatre voix visait un état de l’art, en cherchant à souligner les convergences et différences thématiques. Là où les historiens français traitent de la mine pour analyser un moment du capitalisme industriel en Occident, nous avons constaté que l’anthropologie étudie la mondialisation des années 80 hors de ce périmètre. Dans le premier cas, le questionnement a souvent été articulé à la question de la formation d’une classe ouvrière, sujet qui reste largement dans l’ombre chez les anthropologues qui privilégient questions ethniques et territoriales autour de l’étude de conflits avec les industriels. Fort de ces réflexions nous avons réfléchi au renouvellement possible d’une étude de la mine comme acteur à la fois économique et politique en envisageant d’inscrire, chacun dans sa discipline, les entreprises à la croisée de configurations sociales et politiques plus vastes qu’à l’accoutumée.

Les séances suivantes (6 novembre et 11 décembre) ont visé à poursuivre cette réflexion sous différents angles. L’historien moderniste Boris Deschanel a présenté l’investissement des milieux d’affaires français dans le secteur minier du XVIIIe au début du XIXe siècle. À cette occasion, il a retracé une historiographie des élites minières en montrant que le sujet s’avère lacunaire. Il a ensuite abordé les formes d’imposition des profits et des revenus issus des exploitations minières dans la France moderne et ses colonies ouvrant ainsi un intéressant champ d’investigation comparatif sur la ressource minière comme ressource étatique.

L’historienne Marion Fontaine est revenue, quant à elle, sur les politiques de recrutement de main-d’œuvre aux XIXe et XXe siècles en France en interrogeant l’existence d’une éventuelle spécificité minière. Elle s’est proposé d’inscrire cette thématique dans le renouvellement d’une histoire sociale plus globale intégrant les phénomènes de migration. Ce faisant, elle invitait les anthropologues à se saisir de cette thématique en contextes coloniaux où la figure de l’immigré est remplacée par celle de l’indigène. La seconde partie de la séance a porté sur le traitement dans les sources du rapport patronat/salariés sous l’angle du paternalisme soucieux de fixer les travailleurs mobiles. Là encore, cette notion mérite d’être questionnée à nouveaux frais dans une mondialisation qui encourage plutôt la mobilité mais qui se heurte aussi aux mondes autochtones, par définition soucieux de défendre des territoires de vie.

D’autres questionnements ont été abordés, cette fois en partant des problématiques développées du côté de l’anthropologie (séances du 8 janvier et du 5 février). L’anthropologue Christine Demmer a voulu mesurer ce que la nationalisation des ressources naturelles ou la régulation de leur circulation (le nationalisme minier) apporte à une théorie de la nation qui intègre, comme on le sait depuis Mauss les liens économiques aux côtés des liens culturels et politiques. Elle s’est interrogée plus spécifiquement sur le caractère potentiellement paradigmatique du nationalisme minier comme fondement de la nation. Nous avons convenu que pour répondre à ce type de question il importe, dans chaque contexte géographique et historique de saisir ce que nationaliser veut dire de manière empirique en prêtant attention aux résistances des entreprises, à leurs connexions internationales, tout comme aux revendications locales/autochtones de gestion des ressources afin de penser les points de fractures de la nation.

L’anthropologue Pierre-Yves Le Meur est enfin revenu sur la notion d’enclave minière, particulièrement mobilisée dans les travaux d’anthropologie dans les « Suds » pour traiter du néolibéralisme et des formes concurrentes de la souveraineté nationale. Interroger la pertinence de la notion dans ces contextes a ouvert sur la question de l’intérêt de la mobiliser en Occident. La séance s’est poursuivie en examinant l’entreprise comme acteur public (local) en mettant ici en balance la notion de paternalisme d’hier et de RSE d’aujourd’hui en rappelant l’expression de légitimités non étatiques au sujet du contrôle des ressources naturelles.

Le séminaire s’est conclu par une journée d’études « La mine entre privé et public », qui s’est tenue le 29 mars à Marseille. Elle a été l’occasion de rediscuter avec des spécialistes du champ ancrés dans nos deux disciplines de l’interventionnisme étatique en matière minière (avec l’historien des mines françaises de l’est Pascal Raggi et l’anthropologue Emmanuel Grégoire sur l’uranium au Niger, la doctorante en géographie Pauline Massé étudiant les nouveaux projets miniers français) et du partage de souveraineté (avec l’anthropologue Kyra Grieco qui a étudié des conflits dans les Andes et Boris Deschanel l’imposition minière dans l’Ancien Régime).

Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 31 juillet 2018.

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