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2e et 4e jeudis du mois de 13 h à 17 h (salle 4, 105 bd Raspail 75006 Paris), du 8 novembre 2018 au 14 février 2019
Ce séminaire s’inscrit dans le cadre d’une réflexion philosophique et psychanalytique sur le « malaise dans la civilisation démocratique » et le type de renoncement pulsionnel qu’a induit l’idéologie de la rationalité dans le régime socio-politique de l’égalité, alors même qu’il est porteur d’une promesse de « réhabilitation de la chair », pour parler comme les Saint-Simoniens. Pour dessiner ce que pourrait être une « démocratie sensible » et analyser le changement de civilisation en cours, du fait de l’effacement progressif des derniers vestiges patriarcaux, nous explorons la question du féminin symbolique et de son destin culturel passé et, avec elle, celle des liens archaïques mère-enfant, à la racine du psychisme humain.
Cette année encore, nous poursuivrons notre enquête sur le double versant d’un questionnement anthropologique du déni du féminin et des « fantasmâlgories » qui traversent l’imaginaire social ; et d’une « féminologie » revalorisant la dimension érotique de l’existence individuelle et collective. Pour ce qui concerne le premier versant, nous continuerons entre autres le travail que nous avons entrepris à partir de l’exposition récemment organisée aux Archives nationales, « Présumées coupables », autour des grands procès faits aux femmes, en analysant plus spécifiquement la figure de la femme « traître », dans le prolongement de l’étude antérieure de celles de la sorcière, de l’empoisonneuse, de l’infanticide et de la pétroleuse. Nous privilégierons dans cette recherche l’approche sensible d’œuvres artistiques – plastiques ou littéraires –, selon une « science affective » en résonance avec la strate psychique archaïque explorée et son mode de connaissance.
Cette année, les participants du séminaire seront invités à poursuivre le travail au second semestre dans un atelier de recherche du même nom, à rythme mensuel, où ils interviendront, en retour, par des exposés individuels, en présentant les réflexions qu’ont fait naître en eux ce premier parcours, à partir de leur propre champ de recherche et de lectures qui leur auront été suggérées (voir Agnès Antoine, « Eros et démocratie : le destin du féminin (II) : atelier de recherche », à partir de janvier 2019). S’il est conseillé de suivre ce second séminaire après le premier, il n’est cependant pas obligatoire de le faire.
Mots-clés : Affects, Anthropologie, Arts, Corps, Culture, Démocratie, Féminisme, Genre, Imaginaire, Philosophie, Politique, Psychanalyse, Sexualité, Sociologie,
Aires culturelles : Transnational/transfrontières,
Suivi et validation pour le master : Bi/mensuel annuel (24 h = 6 ECTS)
Intitulés généraux :
Centre : CESPRA - Centre d'études sociologiques et politiques Raymond-Aron
Renseignements :
voir ci-dessous.
Direction de travaux d'étudiants :
sur rendez-vous.
Réception :
voir adresse courriel.
Site web : http://www.ehess.fr/fr/
Adresse(s) électronique(s) de contact : agnes.antoine(at)ehess.fr
L’exploration de la question du féminin, de son destin civilisationnel passé et à venir, et de l’énigme de son déni, m’a amenée progressivement ces dernières années à interroger la violence spécifique adressée aux femmes. Pour approfondir cette question, j’ai utilisé, l’an dernier, l’exposition consacrée par les Archives Nationales aux grands procès faits aux femmes, intitulée Présumées coupables (Paris, novembre 2016-mars 2017), qui s’intéressait aux préjugés et stéréotypes propres aux procès féminins, de la Renaissance au XXe siècle, en permettant ainsi de poser plus généralement la question anthropologique : de quel crime la femme est-elle, symboliquement, coupable ? Et d’ajouter la suivante : quel est-il, ce crime, pour qu’en retour, la justice punitive ait si souvent consisté en un cruel « féminicide » ? J’ai exploré cette année une autre des figures de la typologie organisatrice de l’exposition, aux côtés de celle de la « sorcière », de l’« empoisonneuse », de l’« infanticide » et de la « pétroleuse » que nous avions considérées auparavant : celle de la femme « traîtresse ».
Je me suis appuyée principalement sur les travaux que l’historien Fabrice Virgili a consacrés aux femmes tondues à la Libération en France, en particulier, dans son livre La France virile (Payot, 2000), qui approche cet épisode tabou de l’histoire contemporaine à travers le prisme du genre : dans les « procès » expéditifs ou règlements de compte spontanés qui ont été mis en œuvre par une partie de la population libérée à l’égard des personnes considérées comme ayant collaboré avec l’« ennemi », avant que ne se mette en place un dispositif judiciaire spécifique, les femmes ont en effet subi un traitement singulier, celui de la tonte de la chevelure et de l’exposition honteuse – et même parfois de la dénudation –, là où les hommes étaient le plus souvent tués. L’analyse des documents montre aussi, quelles que soient les formes de relation avec l’ennemi de ces femmes présumées « coupables » et leur degré d’adhésion à l’idéologie collaboratrice ou nazie, une focalisation sur leur sexualité supposée, jugée à la fois immorale et illégitime, la sexualité féminine devenant, d’une certaine façon, l’objet même de l’accusation de collaboration et, de ce fait, celui de l’« épuration ».
Tout en maintenant dans notre horizon de pensée l’ouvrage majeur de Klaus Theweleit, Fantasmâlgories (1977 ; trad. fr., L’Arche, 2015), que nous avions déjà travaillé, j’ai poursuivi ma lecture critique du livre, non moins important, de Jacob Rogozinski, Ils m’ont haï sans raison. De la chasse aux sorcières à la Terreur (Cerf, 2015), qui explore de façon inédite les mécanismes psychiques et les dispositifs socio-politiques aboutissant, dans certaines conditions historiques, à bâtir fantasmatiquement à l’intérieur de soi et dans l’espace collectif la figure menaçante d’un « Ennemi » absolu, qu’il convient d’exclure ou, encore plus radicalement, d’éliminer. Deux textes de Freud ont également accompagné et enrichi mon analyse de « l’épuration » du féminin : « Une névrose diabolique au XVIIe siècle » (1923) et « La tête de Méduse » (1922).
Tout au long du séminaire, des images issues de l’exposition des Archives nationales ou de l’ouvrage de Fabrice Virgili – dont la fameuse photographie par Robert Capa de « la tondue de Chartres », avec son enfant né d’un soldat allemand dans les bras –, ou encore les représentations du diable peintes par le « névrosé » Haitzmann, étudié par Freud, sont venues soutenir notre réflexion collective.
Cette année, le séminaire s’est prolongé avec un « atelier de recherche » facultatif, au second semestre, dans lequel les étudiants ont été invités, par des exposés oraux, à rebondir sur la matière de mon séminaire, à partir de leurs propres travaux de recherche et d’une lecture choisie dans la bibliographie. Nous avons profité de l’organisation d’une exposition sur Freud au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, sous la direction de Jean Clair, Freud : de l’image à l’écoute, pour l’intégrer à notre travail, en la visitant avec les participants du séminaire, en commentant les tableaux et objets exposés, et en faisant un travail critique sur la philosophie de cette exposition consacrée au fondateur de la psychanalyse, ainsi que, plus généralement, sur la philosophie de l’exposition en tant que medium spécifique.
Dernière modification de cette fiche par le service des enseignements (sg12@ehess.fr) : 11 septembre 2018.